Art et féminisme, des médias en phase avec la société : cachez ce sang que je ne saurais voir
La Belle au Bois Dormant comme métaphore du passage de la puberté, voilà une idée fascinante développée par Bruno Bettelheim dans Psychanalyse des Contes de Fées. La vision terrifiante de cette goutte de sang (menstruel donc ?) au bout du fuseau, et nous voilà plongé.e.s dans l’âge adulte, après le coma de l’adolescence et le secours du courageux prince qui vient traverser la forêt pour nous offrir un premier baiser. Une bien belle histoire, qui m’a fait me questionner sur toutes ces petites images, sous-entendus, liens implicites que l’industrie du cinéma (entre-autre) nous a fait tisser avec les règles. Ces fameux liens que l’on peut établir entre l’art et le féminisme, entre les lignes.
Les règles ont inspiré bon nombre de films d’horreur, et ce n’est en fait pas tellement surprenant, ce sang jaillissant de l’intérieur a fait longtemps l’objet de nombreux fantasmes autour d’une sorte de mal inhérent des femmes qu’elles doivent expulser une fois par mois sous peine de succomber à la folie. On a notamment longtemps cru qu'une femme avec ses règles faisait tourner le vin et empêchait la mayonnaise de monter, si ça ce n’est pas une forme de folie diabolique. L’exemple de film le plus cité dans le registre de l’horreur est Carrie, je vous laisse aller regarder pour les plus curieux/euses d’entre vous. Pour ce qui est du cinéma plus grand public, les règles n’ont souvent qu’un rôle d’élément perturbateur qui met les personnages dans des situations de gêne, de souffrance, d’humiliation, et j’en passe. Donc entre la Belle au Bois dormant qui dépeint les règles comme une sorte de coma imposé par une méchante sorcière qui laisse la femme complètement passive face au vaillant chevalier et aujourd’hui, on n’a pas beaucoup avancé. Vraiment ?
Netflix à la rescousse
Une des séries les plus engagée et grand public sur des questions de féminisme, de racisme et des combats LGBTQ+, avec une portée politique, est Orange Is The New Black (OITNB). Cette série enclenche un changement dans la perception des règles. Pour celles et ceux qui ne la connaissent pas : l’histoire suit plusieurs destins de femmes dans une prison aux Etats-Unis avec un ton engagé, retraçant chaque vie et chaque parcours dans ce qu’ils ont à la fois de plus humains, de plus tragiques mais aussi de plus banals et attachants. Et quand nous nous battons pour faire baisser la taxe tampon, elles font face à une pénurie de protections hygiéniques, premières sacrifiées dans la réduction du budget, qui donne lieu à des trafics et à des méthodes de fortunes.
Si l’on dépasse les réflexions que l’on peut se faire sur les économies potentielles que ferait la prison si elles avaient toutes un kit de serviettes lavables, il faut reconnaître que ça fait du bien de voir enfin les règles traitées pour ce qu’elles sont. Ce ne sont ni des grands moments de bataille de polochon en culotte blanche, ni un stigmate de la femme qui expliquerait son infériorité. Et en amenant le sujet de manière concrète, on prend conscience de l’importance d’arriver à cet équilibre subtil par lequel les règles sont considérées comme une question sanitaire centrale, tout en n’en faisant pas l’élément principal de définition des femmes (toutes les femmes n’ont pas leurs règles, certains hommes les ont, et les règles ne sont qu’un phénomène biologique parmi tant d’autres). OITNB dès le début désacralise le sujet en montrant que les prisonnières utilisent les serviettes et les tampons pour tout et n’importe quoi (avant la restriction de budget), elles en font donc alternativement des tongs pour la douche, des masques de nuit, des bigoudis,.. Et en rendant l’objet commun, en le sortant de ce murmure gêné « t’as pas un tampon ? » on permet aux langues de se délier et au sujet d’être traité. C’est également une manière symbolique de montrer leur importance, leur place légitime en tant que produit de première nécessité. Il faut avoir en tête que les restrictions de budget dans les établissements pénitenciers aux Etats-Unis aboutissent en effet à l’arrêt de la distribution gratuite de protections hygiéniques, ce droit fondamental devenant ainsi uniquement accessible pour celles et ceux qui peuvent dépenser 5$ pour un paquet de serviettes[1].
Quand la Pop-Culture a des progrès à faire
OITNB reste une série regardée en majorité par une population féminine plutôt sensibilisée. La seule manière pour que ce sujet soit vraiment démystifié serait de le voir apparaître dans des films de manière neutre. L’idée est d’influencer les générations futures à avoir un rapport plus libre et détaché sur le sujet, de leur montrer l’exemple. Pour élargir la question du rapport entre art et féminisme et aborder le sujet de la place des femmes dans la pop-culture, vous pouvez aller faire un tour sur la chaîne Feminist Frequency qui allie un format drôle et un message fort. Les choses changent avec les réseaux sociaux qui sont une sorte de première voix à ce changement, même s’il y a encore un décalage entre les politiques mises en œuvre qui censurent encore les images où l’on voit des tâches de sang, et les blogs/vidéos qui se développent sur ce sujet (évidemment, on vous renvoie à Passion Menstrues).
Pour la petite anecdote, voici un court-métrage de Disney The Story of Menstruation, fait en 1946 (autant dire qu’à l’époque les règles n’était pas un sujet facilement abordé), de façon assez surprenante cette vidéo est très pédagogique et on peut imaginer l’utilité qu’elle a pu avoir pour les petites filles de l’époque. La vidéo a massivement tourné dans les lycées et collèges américains. Le sang n’est pas rouge, mais à part cette petite déformation de la réalité, c’est un des premier (voire le premier) support éducatif qui explique clairement et sans censure le processus biologique féminin. La longue censure des mots comme « vagin » avant ce court-métrage montre une fois de plus le rapport ambigu avec les règles qui sont associées à la fois à la sexualité et à la violence, tout en étant un phénomène naturel essentiel quand on veut fonder sa société sur le modèle de la famille. Et même si j’ai rarement vu un bébé avec autant de mascara et de rouge à lèvre, les filles sont encouragées à faire de sport et à ne pas se laisser abattre ! On vous laisse découvrir.
Crédit photo : Disney
Joséphine Desportes
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